Bruno Le Maire a-t-il mesuré les enjeux de ses déclarations formulées à l'encontre des plateformes de téléchargement que sont l'App Store et le Google Play ? Des associations de développeurs et les entreprises concernées commencent à réagir.
« Les développeurs d’applications devraient avoir leur mot à dire dans les projets du ministre de l’Économie de réglementer les plateformes » : c’est ainsi que commence le communiqué de presse diffusé par ACT | The App Association, qui allie des développeurs et revendique plus de 5 000 membres à travers le monde.
Le ton est donné. La déclaration de Bruno Le Maire qui s’est attaqué le 14 mars aux plateformes de vente et de distribution d’applications que sont le Google Play et l’App Store n’est pas passée inaperçue. Bien vite, on se demande qui pourrait avoir soufflé cette idée au ministre : « Loin d’améliorer la situation des développeurs d’application, cette annonce a pour effet de créer un climat anxiogène qui risque à terme de rejaillir négativement sur le lien de confiance mutuelle et les interactions positives entre les développeurs d’applications et les plateformes mobiles », poursuit le communiqué.
Et pour cause : monsieur Le Maire souhaite en finir avec des « pratiques commerciales abusives » en assignant ces plateformes en justice. Pour une partie des développeurs concernés, la mauvaise compréhension de l’écosystème et de ses cercles vertueux par Bruno Le Maire est troublante.
L’incompréhension des développeurs… et d’Apple
« Nos recherches montrent que les développeurs ont, de manière générale, un sentiment très positif envers les plateformes et qu’ils ne pensent pas qu’elles les exploitent. Une large majorité des développeurs que nous avons rencontrés (85 %) ne pensent pas qu’ils sont exploités et considèrent les plateformes comme celles de Google ou d’Apple comme des partenaires cruciaux pour leur succès (38 %) ou comme des outils qui permettent leur croissance », estime de son côté la Developers Alliance dans un communiqué en anglais.
Ces deux associations de développeurs ont, en creux, les mêmes interrogations : pourquoi la France se fait-elle la championne d’un problème qui ne semble pas exister ? Au contraire, la Developers Alliance évoque des sujets qui pourraient accompagner l’effort des développeurs et qui auraient un intérêt à être soutenus par les pouvoirs publics : « Alors que la communauté des développeurs apprécie le soutien du gouvernement français, elle estime qu’elle serait mieux servie si le gouvernement se concentrait sur l’ouverture de certains marchés ou la gratuité des données à disposition ».
« Nous sommes fiers d’avoir de solides relations avec des dizaines de milliers de développeurs à travers la France » — Apple
Du côté d’Apple, les sentiments sont les mêmes. Cupertino ne tarit pas d’éloge pour sa communauté de partenaires et rappelle que sans elle, iOS ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui : « Nous sommes fiers d’avoir de solides relations avec des dizaines de milliers de développeurs à travers la France, qui ont gagné 1 milliard d’euros sur l’App Store. Beaucoup de ces développeurs talentueux ont fondé leurs entreprises avec une ou deux personnes et ont ensuite vu leurs équipes grandir pour offrir leurs applications aux utilisateurs dans 155 pays. »
Et en effet, l’idée que les magasins d’application sont un cercle vertueux est reprise par ACT : « Les app stores modernes permettent aux plus petits acteurs d’être sur le même pied d’égalité que les grandes entreprises grâce aux règles qui les régissent ». On entre ici clairement dans le paradoxe de toute plateforme : certes, les développeurs doivent respecter des conditions pour diffuser leurs applications sur ces marchés, mais en contrepartie, les marchés offrent une exposition immédiate auprès de millions d’utilisateurs — et donc de millions de clients.
Un malentendu ?
Le raisonnement qui voudrait que l’offre d’applications s’émancipe des magasins officiels que sont le Play Store ou l’App Store d’Apple n’est pas mauvais en soi : il est vrai qu’on pourrait légitimement avoir envie de trouver des applications pour iOS ailleurs. Mais c’est aussi, d’un autre côté, la centralisation de l’écosystème qui permet de concentrer les utilisateurs au même endroit qui donne une exposition aux applications et aux services.
C’est aussi, pour Apple, la capacité de proposer une expérience complète et contrôlée, dans laquelle les arnaques et autres malwares ont, en théorie, moins leur place. Cette philosophie qui laisse moins de choix, mais également moins de possibilités de faire d’erreur à l’utilisateur est la marque de fabrique de Cupertino — elle est attendue et acceptée par les clients. Sur Android, des marchés alternatifs existent — on pense à celui d’Amazon — et la possibilité d’installer des applications en les téléchargeant existe — aux risques et périls des utilisateurs. Difficile, dès lors, d’appliquer les critiques du ministre à l’écosystème Google.
« Nous sommes entièrement disposés à partager notre histoire devant les tribunaux français et à éclaircir ce malentendu. »
Enfin, Apple n’hésite pas non plus à rappeler son rôle dans la construction de cet écosystème rémunérateur tout en soulignant que les allégations de M. Le Maire seraient au mieux un malentendu : « Cela n’a été possible que grâce à l’investissement d’Apple dans iOS, les outils de développement et l’App Store. Apple a toujours défendu la confidentialité et la sécurité des utilisateurs et n’a pas accès aux transactions des utilisateurs avec des applications tierces. Nous sommes entièrement disposés à partager notre histoire devant les tribunaux français et à éclaircir ce malentendu. »
Si elle a effectivement lieu, difficile de prévoir à qui profitera cette bataille.
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