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InSight : trente ans de patience pour décrocher Mars

Philippe Lognonné a attendu toute sa carrière pour voir la sonde InSight de la Nasa se poser sur la planète rouge. Portrait.

Il existe des saisons plus ou moins colorées pour apercevoir Philippe Lognonné, crinière rousse, rouflaquettes et barbe fournies. D'abord, la collection printemps-été, le 5 mai dernier, sur la base américaine de Vandenberg (Californie) - tandis que la sonde InSight décollait en direction de Mars avec son bébé-instrument - voyait le géophysicien de 55 ans arborer une de ses chemises hawaïennes fétiches. Ensuite, il y a quelques jours, changement de look pour la collection automne-hiver, cette fois-ci en France, dans ses bureaux de l'université Paris-Diderot : pantalon noir, chemise noire, pull noir. Une sobriété de mise seyant davantage à son statut de PI - investigateur principal - du sismomètre SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure), un bijou de technologies qui doit se poser dans la nuit de lundi à mardi sur le sol aride et ocre de la planète rouge. Il faut rarement se fier aux apparences, et les fleurs d'hibiscus chamarrées sont bien les seules fantaisies que s'accorde ce chercheur français parmi les plus reconnus à l'étranger.  

Derrière la placidité pointe le stress du moment. "Aujourd'hui, près de 250 personnes travaillent sur le projet SEIS, ce qui implique quelques responsabilités", raconte-t-il. L'"amarssissage " est considérée comme la manoeuvre la plus périlleuse pour une sonde spatiale. Foncer à une vitesse intersidérale pendant deux cent cinq jours, freiner grâce à un bouclier thermique, déployer un parachute, allumer des rétrofusées et, théoriquement, se poser presque en douceur sur le sol martien. Une descente qui dure moins de sept minutes et dans laquelle, comme sur un coup de dés, Philippe Lognonné aura joué trente années de sa vie...  

Image d'artiste du décollage d'InSight.

Image d'artiste du décollage d'InSight.

NASA/JPL-CALTECH

Ecouter les entrailles de Mars

Après avoir obtenu sa thèse en 1989, le chercheur intègre l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) avec une intuition qui va guider toute sa carrière : pour connaître une planète tellurique, il faut savoir ce qu'elle a dans le ventre. Or, sur Terre, depuis le XIXe siècle, les scientifiques utilisent des sismomètres. D'où l'obsession de Lognonné : mettre au point un tel instrument, qui pourrait se poser automatiquement à la surface des autres astres du Système solaire pour écouter leurs entrailles. Cet objectif n'est pas un monopole français, et d'autres pays ont développé leurs propres appareils. A commencer par les Etats-Unis qui, à chacune des expéditions Apollo, ont posé un sismomètre sur la Lune. Même démarche avec les sondes Viking 1 et 2 (de 1975 à 1978), déjà sur Mars, mais avec des résultats décevants. "Au fil du temps, l'IPGP a développé une expertise internationale dans le domaine de la sismologie spatiale", explique Philippe Laudet, chef de projet au Centre national d'études spatiales (Cnes). La planète rouge s'imposant comme la "nouvelle frontière", Lognonné se retrouve dans l'équipe Mars 96, une mission russe ultra-ambitieuse, avec une sonde de 6 tonnes dont 500 kilos de matériels scientifiques. Hélas, le 16 novembre 1996, ce mastodonte parti à bord d'une fusée Proton défaillante n'a même pas atteint l'orbite terrestre. "Ce fut un coup dur pour tout le monde, mais en particulier pour Philippe, qui voyait son premier sismomètre finir dans l'océan Pacifique, se souvient Laudet. Dès lors, nous avons tout fait pour que l'équipe de l'IPGP garde son savoir-faire." 

Cette illustration, diffusée le 27 avril 2018 par la Nasa, représente la sonde InSight, lancée le 5 mai vers Mars.

Cette illustration, diffusée le 27 avril 2018 par la Nasa, représente la sonde InSight, lancée le 5 mai vers Mars.

afp.com/NASA

Une ténacité à toute épreuve

Comme souvent, les grandes avancées sont affaire de rencontres. En l'occurrence celle de Philippe Lognonné et de Bruce Banerdt, un scientifique du Jet Propulsion Laboratory (JPL) à la Nasa. Les deux hommes parlent le même langage, la planétologie, et l'Américain comprend immédiatement l'intérêt de l'instrument conçu à l'IPGP, au point de devenir son plus fervent supporteur. Ensemble, ils échafaudent l'idée de placer un réseau d'une vingtaine de sismomètres sur Mars. Le projet, baptisé Netlander, prend forme avec le soutien actif du ministre de la Recherche de l'époque, Claude Allègre, lui-même ancien chercheur de l'IPGP. Puis, faute de financement, tombe dans les limbes en 2002. "Les programmes spatiaux nécessitent un temps d'élaboration souvent plus grand que la durée de vie d'un gouvernement", philosophe Lognonné qui, une fois de plus, voit son sismomètre rater une occasion d'aller dans l'espace.  

Commence une longue traversée du désert. Le Cnes tente de remonter un projet (Mars Premier), puis de placer l'engin sur d'autres programmes au niveau de l'Agence spatiale européenne (ESA), à l'instar d'ExoMars (2009). Voire de le faire voler en direction de la Lune, avec la mission japonaise Sélène-2. Sans succès. "Philippe ne s'est jamais découragé, se souvient François Forget, du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) à l'institut Pierre-Simon-Laplace. Il a toujours gardé le même objectif, avec une incroyable force de conviction et une ténacité à toute épreuve." 

Le sismomètre SEIS auscultera les entrailles de Mars, lointaine cousine de la Terre qui a connu un destin si différent.

Le sismomètre SEIS auscultera les entrailles de Mars, lointaine cousine de la Terre qui a connu un destin si différent.

NASA/Handout via Reuters

Course de vitesse

Le bout du tunnel va se creuser de l'autre côté de l'Atlantique. Toujours soutenu par Banerdt, le chercheur de l'IPGP concourt en 2010 à un nouvel appel d'offres de la Nasa. Au total, 27 projets en compétition, pour trois finalistes : une mission vers Titan, l'autre sur une comète et le futur projet martien InSight. "Nos deux concurrents faisaient appel au même générateur nucléaire qui n'était pas au point, si bien que nous avons été sélectionnés en mai 2011 par défaut", s'amuse Lognonné. Commence alors une course de vitesse pour passer les différentes étapes - faisabilité, design, conception détaillée et fabrication. Le tout en moins de cinq années puisque la Nasa visait un décollage en 2016. "Il a fallu travailler comme des fous, parfois jour et nuit", raconte François Forget. Trop vite ?  

A quelques mois du départ, les chercheurs découvrent une fuite sur un connecteur d'un des capteurs. Il faut repousser le lancement. Une décision difficile surtout pour la Nasa : ses scientifiques s'agacent qu'une sonde américaine, dont le coût final avoisine le milliard de dollars, embarque une charge utile totalement étrangère. "Finalement, l'ordre est donné à l'unanimité d'un report à 2018, à condition d'améliorer l'instrument", explique Philippe Lognonné. Un nouveau sprint haletant, qui s'achève avec l'atterrissage de ce lundi 26 novembre. Qui, déjà, aura été un soulagement pour le chercheur et sa famille. "Depuis qu'ils sont nés, mes deux enfants, âgés de 22 et 27 ans, n'entendent parler que de cette mission." 

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