«Aucun scientifique depuis Albert Einstein n’avait ainsi saisi l’imagination publique et été chéri par des millions de personnes à travers le monde.» Les mots de Michio Kaku, physicien de l’université de la ville de New York, résument parfaitement la place qu’occupera Stephen Hawking dans l’histoire des sciences. S’il a apporté une contribution inestimable à l’astrophysique par son étude des trous noirs, sa spécialité, il était surtout le scientifique le plus célèbre de son temps. Le seul physicien capable de placer un livre de vulgarisation dans la liste des best-sellers internationaux, entre la Peste de Camus et le régime Dukan. Il était aussi celui qui a fait comprendre à plus de douze millions de lecteurs à travers le monde, avec simplicité et humour, l’histoire de l’univers. Stephen Hawking est mort ce mercredi matin dans son domicile de Cambridge, en Angleterre, à l’âge de 76 ans.

Singularité gravitationnelle

On avait presque oublié qu’il était mortel. Stephen Hawking n’avait que 21 ans quand on lui a diagnostiqué la maladie de Charcot, une affection causant la dégénérescence des neurones moteurs, et donc une paralysie progressive. Le jeune Stephen étudiait l’astronomie à l’université de Cambridge au Royaume-Uni, et a sérieusement douté de l’intérêt de poursuivre son doctorat alors qu’on lui donnait deux ans à vivre. Ce sont les encouragements de son directeur de thèse, Dennis W. Sciama, l’un des pères de la cosmologie moderne, qui l’ont convaincu de reprendre son travail sur les singularités de l’espace-temps.

On est en 1965, et un article sur l'«effondrement gravitationnel» vient de faire grand bruit dans la communauté des physiciens : le professeur Roger Penrose, qui office à l’université d’Oxford, écrit que les étoiles mourantes les plus massives doivent imploser si intensément que l’astre qui en résulte ne répond plus aux lois qui régissent normalement l’espace-temps. Le champ gravitationnel devient infini, et la structure géométrique de l’espace-temps n’existe plus en ce point : c’est une singularité gravitationnelle. L’étude de Penrose décrit le centre des trous noirs, ces restes d’étoiles si denses qu’on ne peut pas les voir, car la gravité est si forte que même la lumière ne peut s’en échapper.

Le thésard Stephen Hawking reprend ce théorème pour l’étendre à l’univers tout entier, et en collaboration avec Penrose, montre qu’il peut s’appliquer notamment au Big Bang. Les deux chercheurs tentent de montrer, jusqu’au début des années 1970, que l’univers observable – que l’on sait en expansion – est nécessairement issu, si l’on remonte le temps, d’une situation où toute la matière est comprimée en un unique point. Il a depuis fait machine arrière : de nouveaux modèles cosmologiques (qui décrivent l’histoire de l’univers) montrent que ce n’est pas certain.

Vue d'artiste d'un trou noir et de son disque d'accrétion (la matière lumineuse qui lui tourne autour). Vue d’artiste d’un trou noir et de son disque d’accrétion (la matière lumineuse qui lui tourne autour). Image XMM-Newton, ESA, NASA.

Les trous noirs n’ont jamais quitté Hawking ; ils sont le fil conducteur de toute sa vie. En 1973, Stephen Hawking s’applique à explorer les trous noirs sous l’angle de la mécanique quantique, c’est-à-dire les lois qui expliquent le comportement de la matière à l’échelle subatomique, là où la relativité générale d’Einstein est faite pour décrire l’infiniment grand. Il s’avère alors que les fameux trous noirs… ne sont pas si noirs que ça : Hawking montre que leur surface devrait émettre un rayonnement électromagnétique. Celui-ci devient connu en tant que «rayonnement de Hawking» – quand on donne son nom à un phénomène physique, c’est indubitablement le signe que sa carrière décolle… Au fur et à mesure que les particules s’échapperaient d’un trou noir, sa masse diminuerait, sa température augmenterait et l’évaporation prendrait de l’ampleur, jusqu’à ce qu’en fin de vie, le trou noir explose.

L’évaporation des trous noirs est la découverte la plus marquante de Stephen Hawking. Une prédiction si inattendue que le physicien lui-même peinait à croire les résultats de ses calculs : «Ce n’est pas ce que je cherchais du tout. C’est comme si j’avais trébuché dessus. J’étais plutôt ennuyé», racontait-il en 1978, dans une interview. Depuis, d’autres théories proposent des scénarios alternatifs : Le physicien italien Carlo Rovelli estime par exemple dans sa gravité quantique à boucles que «l’effondrement de la matière dans le trou noir finit par s’arrêter». Mais le papier de Hawking dans Nature a révolutionné l’étude des trous noirs et ouvert de grandes portes en astrophysique, donnant matière à penser pour des dizaines d’années.

«Triomphe»

Stephen Hawking a rapidement perdu la capacité de marcher, de parler de manière intelligible, puis de parler tout court. Il ne lui est plus resté qu’une légère capacité de flexion d’un doigt, et le mouvement de ses yeux pour communiquer. Il jouait des sourcils pour former les mots lettre par lettre devant un alphabet imprimé, les premières années de sa paralysie, avant qu’on lui offre un programme informatique transformant ses mouvements de pouce en lettres, en mots (15 par minutes) puis en phrases, lues par une voix synthétique. «Je communique mieux depuis que j’ai perdu ma voix», commentait alors le physicien avec l’humour qui ne l’a jamais quitté. La voix avait un accent américain. Depuis, on en a créé de bien plus belles, et aux intonations britanniques, mais Hawking n’a jamais voulu en changer : cette vieille voix de robot était désormais la sienne, il se reconnaissait en l’entendant. Toute sa vie, Stephen Hawking a travaillé avec des ingénieurs logiciels pour améliorer son logiciel à mesure que ses capacités physiques déclinaient, pour tenter de le faire répondre aux mouvements de joue, de menton, aux expressions faciales, ou accélérer le rythme de parole et d’écriture par la prédiction de mots comme on le fait aujourd’hui sur les smartphones.

Peu avant qu’il perde la capacité de mouvoir seul son fauteuil roulant, en 2007, il a profité de quelques instants de liberté inédite en apesanteur, dans un vol parabolique à bord d’un avion zero-G. Il aimait se montrer, y compris dans les talk-shows à la télé, parler au public, expliquer l’univers encore et encore après son best-seller paru en 1988, Une brève histoire du temps. Sa silhouette reconnaissable entre mille, la tête penchée et l’écran greffé sur son fauteuil roulant, sa voix de robot unique au monde ont fait de lui une figure connue même des enfants, et souvent représentée dans la culture populaire. On l’a vu dans les Simpson, dans Star Trek et dans Big Bang Theory ; on l’a entendu lire un extrait de Cinquante nuances de Grey et chanter une chanson des Monty Python.

«Sa vie est un triomphe», a commenté le cosmologiste Martin Rees de l’université de Cambridge, ce mercredi, en hommage. Un «exemple unique de succès contre toute attente, la manifestation d’une volonté et d’une détermination extraordinaires.»

Camille Gévaudan