Les scientifiques pensaient que les techniques nécessaires à leur fabrication n'étaient apparues que 100.000 ans plus tard.
Trois études publiées dans Science, ce jeudi 15 mars, font état de découvertes dans le bassin d'Olorgesailie au Kenya, en Afrique de l'Est, qui viennent bousculer la chronologie de l'évolution humaine. Des outils «modernes» vieux de 300.000 ans ont été retrouvés sur ce site. Une surprise puisqu'on pensait que ce type de technique n'était apparue qu'il y a 200.000 ans! En repoussant de 100.000 ans le début de la «modernité», c'est toute l'évolution de l'humanité qui se dilue sur une période plus longue. Il n'y aurait en fait pas eu de révolution technique brutale dans l'évolution humaine. Les découvertes datant de périodes ultérieures s'inscriraient du coup dans un continuum évolutif plus lent.
«Il s'agit d'un très grand projet de fouille qui dure depuis plus de vingt ans», explique Francesco d'Errico, coauteur d'un des articles et chercheur au laboratoire Pacea (CNRS/Université de Bordeaux). «La force de ces études, c'est la combinaison de trois articles scientifiquement solides. Il n'y a pas une seule grande découverte, mais un ensemble d'indices concordants qui nous permet de mieux comprendre l'évolution.»
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Il y a 300.000 ans le genre humain n'existe pas encore tel que nous le connaissons aujourd'hui. Néandertal peuple l'Europe et, en Afrique, Homo erectus est sur le point de laisser sa place à Homo sapiens, c'est-à-dire nous. «On est vraiment à une période charnière de l'évolution», explique Francesco d'Errico. «Soit nous sommes face à des populations archaïques avec des traits de modernité, soit à des populations déjà modernes avec des caractéristiques encore archaïques. Tout dépend comment l'on regarde les choses.»
À cette époque, le climat était particulièrement instable. «Il y a une alternance très brutale de cycles secs ou très humides», explique David Pleurdeau, chercheur au Musée de l'Homme. «Dans le même temps, les tremblements de terre ont énormément modifié les paysages.» Les populations ont dû s'adapter à ces transformations qui devaient raréfier les ressources. «C'est sans doute ce climat instable qui les a amenées à se déplacer», ajoute David Pleurdeau. «De précédentes études ont montré que les hommes se déplaçaient de 20 à 30 km par génération à cette époque!»
D'anciennes ocres retrouvées
Sur le site d'Olorgesailie, des matériaux ont été retrouvés jusqu'à 50 km de distance de leur source. «Là encore, c'est particulièrement intéressant car on avait déjà des traces de déplacement d'objets à cette époque, mais jamais en aussi grand nombre», détaille Francesco d'Errico.
Les chercheurs ont aussi eu la surprise de retrouver des traces d'ocre. «C'est très rare de retrouver de l'ocre aussi ancienne», appuie le paléontologue. Les traces de frottements sur ces fragments témoignent très clairement de l'intention d'extraire de la poudre colorante. Malheureusement, les recherches ne peuvent pas conclure sur l'usage qui en était fait. L'ocre pouvait être utilisée simplement pour ses qualités esthétiques, mais elle aurait aussi pu servir à des tâches plus concrètes (marquer des pierres, identifier un chemin ou un territoire). «Rien ne nous permet d'affirmer quoi que ce soit pour le moment», précise néanmoins le chercheur.
Les outils vieux de 320.000 ans témoignent pour leur part d'une technicité importante et d'un fort développement cognitif. Avant cette date la plupart des outils sont travaillés sur deux faces (les bifaces). C'est ce qu'on appelle l'Acheuléen. Là, les pierres retrouvées sont plus fines, et pouvaient être utilisées comme pointes de sagaies (des lances primitives). Ces technologies sont déjà connues elles n'apparaissent en principe que 100.000 plus tard, marquant le début de l'Âge Moyen de pierre.
Pas forcément l'œuvre d'Homo sapiens.
Quant à savoir quel hominidé est responsable de ces traces manifestes de modernité, le débat fait rage. Naturellement, on serait tenté d'y voir l'œuvre de l'homme moderne, à savoir Homo sapiens. Mais aucun ossement n'a été retrouvé. Impossible donc d'extrapoler. Et si le plus vieux squelette d'Homo sapiens découvert date sensiblement de la même époque, il a été trouvé au Maroc, soit à quelque 9000 km de là!
À cette période, en Europe, Néandertal avait déjà acquis un certain nombre de ces compétences. Il n'est donc pas à exclure que des hommes qu'on aurait qualifiés d'archaïques, typiquement Homo erectus, aient pu réaliser la même chose au Kenya. Au final, la frontière entre moderne et archaïque ne cesse de s'estomper. «Les différentes espèces d'hommes se sont brassées et ont mélangé leurs gènes», rappelle Francesco d'Errico. «Il y a 300.000 ans, il faut imaginer un réseau de connexion entre les populations. Une géographie mouvante du genre humain. C'est ce patchwork fait d'échanges culturels et de brassage génétique qui a fini par donner l'homme moderne.»
De la même manière qu'il n'y a pas eu de révolution technologique brutale, la modernité n'est pas apparue soudainement avec Homo sapiens. Elle s'est construite peu à peu, comme une mosaïque, par petits bouts et dans plusieurs endroits.
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