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InSight: l'histoire rocambolesque de l'instrument français qui a poussé la Nasa à retarder sa mission

ESPACE - Ce lundi 26 novembre, c'est le grand jour pour la Nasa, mais aussi pour le Cnes, l'agence spatiale française. Après sept ans de travail, sept mois de voyage dans l'espace et sept minutes d'angoisse, la sonde américaine InSight va enfin toucher ce lundi soir (heure française) la surface de la planète Mars à l'issue d'une descente à haut risque.

La sonde lancée début mai doit analyser l'intérieur de notre voisine pour mieux comprendre la planète rouge et son histoire. Si cette mission est importante pour le Cnes, c'est parce que l'instrument de mesure principal, le sismomètre Seis, est made in France. Géré par l'agence spatiale française, imaginé et conceptualisé par l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP), fabriqué en partie par Sodern, filiale d'ArianeGroup. C'est le fruit de 30 ans de travail majoritairement hexagonal.

Si InSight atterrit sans encombre sur Mars et si le bras mécanique mis au point par la Nasa dépose correctement Seis sur le sol martien, ce sera la première fois que nous arriverons à écouter battre le coeur de la planète rouge.

A l'origine, InSight devait décoller deux ans et deux mois plus tôt. Mais le lancement a dû être annulé. A cause justement d'un problème touchant Seis. Cette seconde chance est l'occasion de revenir sur l'histoire pleine de rebondissements du sismomètre planétaire français.

Mars 96, première (immense) déception

Tout commence en 1989, à l'IPGP. "J'étais tout juste sorti de ma thèse quand nous avons commencé à travailler sur un concept de sismomètre à destination d'une autre planète", se remémore Philippe Lognonné, responsable scientifique de Seis pour la mission InSight, interrogé par Le HuffPost.

Sept ans après, l'instrument, baptisé Optimism s'installe à bord de l'atterrisseur russe Mars 96. Philippe Lognonné est déjà responsable scientifique du sismomètre français à l'époque. Mars 96, c'est un monstre de plus de six tonnes, la plus lourde et probablement plus ambitieuse mission planétaire jamais lancée dans le monde, bardée d'appareils de mesure en tout genre.

Roscosmos

Mais le nom du sismomètre ne porte pas chance à Mars 96. Le lancement est un échec, la sonde retombe dans l'océan. Une perte gigantesque pour la communauté scientifique.

Plus d'une décennie de traversée du désert

Ni le Cnes, ni l'IPGP n'abandonnent l'idée d'envoyer un sismomètre dans l'espace. Un petit budget est alloué pour continuer à améliorer le concept. Ce travail de recherche, sorte de traversée du désert, dure plus d'une décennie.

En 2006, Philippe Lognonné veut relancer l'idée d'une mission martienne. Avec son collègue Bruce Banerdt du JPL (le laboratoire de la Nasa responsable de la majorité des vols non habités), il propose la création de l'ancêtre d'InSight lors d'un appel d'offre de l'agence spatiale américaine. Mais le projet n'est pas retenu.

Les scientifiques français continuent de peaufiner ce qui deviendra Seis pendant quatre ans. En 2010, la mission est à nouveau proposée à la Nasa. Et fait partie des trois finalistes. Après un marathon dans le désert, un long sprint peut commencer. D'abord, les scientifiques ont un an pour démontrer qu'InSight est la mission que doit choisir l'agence américaine.

Nasa

L'atterrisseur InSight

"Il fallait alors passer d'un plan d'une cinquantaine de pages à quelque 800 pages", se rappelle Philippe Lognonné. Le Cnes prend alors en main Seis et investi plus de deux millions d'euros dans cette phase finale. "C'est quasiment autant que ce que la Nasa a donné pour l'ensemble de la mission InSight sur la même période", rappelle Philippe Lognonné.

Coup de pouce et adieu vacances

A l'été 2012, le résultat tombe: InSight sera la prochaine mission de la Nasa. Et à son bord, le sismomètre sera bien made in France. La récompense de plus de 20 ans de travail. "Nous avons également eu un peu de chance, nos deux compétiteurs, qui visaient Titan et une comète, ont eu un problème avec leur générateur nucléaire", se souvient Philippe Lognonné.

Les sept années suivantes ont été assez intenses. "On a eu peu de vacances", confie au HuffPost Philippe Laudet, chef de projet de Seis pour le Cnes. Sauf quand cela s'imposait. "Certains ont été forcés de prendre quelques vacances, suite à des débuts de burn-out", précise Philippe Lognonné, qui rappelle qu'en 2015 et 2017, "les trois quarts des week-end ont été travaillés par une partie de l'équipe".

Il faut dire qu'il y a beaucoup à faire. Si le concept est là, il faut le finaliser, le perfectionner, le sécuriser. Pour faire très simple, un sismomètre est équipé d'un capteur, une masse suspendue à un ressort. Quand la Terre tremble, la masse bouge de haut en bas. C'est en analysant ce mouvement que les scientifiques arrivent à déterminer ce qu'il se passe sous terre.

L'instrument souhaité par la Nasa devait être précis. Seis est capable de mesurer un mouvement de la largeur d'un atome. "Le sismomètre devait également être résistant et léger", pour pouvoir être posé à même le sol par le bras mécanique de la Nasa, explique Philippe Laudet. Seis est composé de six capteurs. Trois d'entre-eux sont même situés dans une sphère sous vide, afin d'être épargnés par les conditions atmosphériques martiennes.

Petite fuite, gros problème

Et c'est justement ici que le bât blesse. A l'été 2015, alors que le lancement est prévu dans quelques mois, la sphère qui permet d'isoler complètement les trois capteurs si précis est scellée par Sodern. Il faut alors vérifier son étanchéité.

Théoriquement, des "vérifications de routine", se souvient Philippe Lognonné, en vacances à ce moment. Mais qui avait tout de même prévu une location proche du centre spatial français de Toulouse, où sont réalisés les tests. "Je me suis retrouvé à faire des aller-retours tous les jours jusqu'au centre", se rappelle le responsable scientifique de Seis.

Le problème, c'est que les tests ont montré une petite fuite dans la sphère. Minuscule. Mais la nature a horreur du vide. Résultat: les capteurs ne fonctionnent pas comme prévu. "La sphère est traversée par de l'électronique. Le problème venait d'un défaut sur l'un des connecteurs, de la taille d'une pièce de 20 centimes", précise Philippe Laudet.

Nasa

A gauche, les capteurs très précis qui doivent être sous vide. A droite, la fameuse sphère.

Les équipes, en partenariat avec la Nasa, travaillent d'arrache-pied pour tenter de colmater la brèche. Mais le résultat n'est pas satisfaisant. Bruce Banerdt et Philippe Lognonné arrivent à la conclusion que les engagements scientifiques d'InSight ne pourront pas être tenus avec cette fuite. "Ce n'était pas une décision facile à prendre, surtout que l'on ne savait pas à ce moment là si la mission serait simplement repoussée ou purement annulée par la Nasa", explique-t-il.

Un report rentabilisé

Le Cnes et la Nasa prennent donc la décision, en décembre 2015, d'annuler le lancement prévu en mars 2016. L'agence spatiale américaine a alors donné jusqu'à février au Cnes pour résoudre le problème. Mais pas que. "Pour justifier le retard et les surcoûts, il fallait également consolider le projet, supprimer les risques connus", explique Philippe Laudet. InSight est en sursis.

Finalement, le nouveau projet est validé par la Nasa en mars. "Nous n'avions toujours pas de vacances", se rappelle avec humour le chef de projet du Cnes. Sauf qu'un report de mission vers Mars, cela ne se fait pas sur quelques mois, mais plutôt sur des années. L'alignement des planètes permettant le voyage le plus court a lieu tous les 26 mois. Le lancement est donc repoussé à mai 2018.

nasa

Pendant ce temps, il faut réparer le Seis. C'est le JPL américain qui se charge alors de créer une "sphère 2.0" de confinement. Ainsi qu'une seconde de rechange. Au cas où. De même, le Cnes et l'IPGP améliorent les différents composants du sismomètre. Et doublent la mise également, par prudence. Il y a donc aujourd'hui deux Seis. L'un va partir pour Mars, l'autre restera sur Terre avec une réplique d'InSight, pour procéder à des vérifications tout au long de la mission, qui va durer environ deux ans.

Ce report est un coup dur pour le Cnes. Mais Philippe Laudet relativise: "Quand vous êtes poursuivis par un ours, l'important n'est pas de savoir si vous courez plus vite que lui, mais si l'un de vos coéquipiers court moins vite que vous". Car à l'aube du lancement théorique de 2016, personne n'est prêt à la perfection, rappelle-t-il.

Très chère mission

"Durant les deux ans qui ont suivi, l'Allemagne a procédé à des améliorations sur son instrument. Les Etats-Unis ont également apporté des changements au bras robotisé et au parachute d'InSight", note Philippe Laudet. Bref, le report a permis "d'énormément sécuriser la mission", estime Philippe Lognonné.

Toujours est-il qu'un retard de deux ans n'est pas sans conséquences financières, même si ce genre de délais est assez courant dans ces missions d'explorations spatiales. Pour le Cnes, il a entraîné un surcoût d'environ 20%. Les frais supplémentaires sont similaires pour InSight en général. La mission a coûté à la Nasa un total de 695 millions d'euros, au lieu des 566 millions prévus initialement.

Le coût total de Seis s'élève à 166 millions d'euros. Sans compter la participation des Etats-Unis et des partenaires européens, la France a déboursé 106 millions d'euros au global pour son sismomètre. "C'est l'instrument scientifique interplanétaire le plus cher jamais mis au point par le Cnes", affirme Philippe Laudet.

En dehors de l'intérêt pour la communauté scientifique, Seis a également permis à l'agence spatiale française de se positionner comme la spécialiste de la sismographie spatiale. "Dans le futur, on peut imaginer qu'il faudra d'autres instruments sur Mars pour en savoir plus. Ou pourquoi pas retourner sur la Lune, ou encore sur Mercure ou d'autres satellites du système solaire", espère Philippe Laudet. Sans fuite, cette fois-ci.

À voir également sur Le HuffPost:

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