Dans une longue interview publiée mercredi 26 septembre par le magazine Forbes, Brian Acton, l’un des créateurs de l’application WhatsApp, donne finalement les explications d’un tweet posté six mois plus tôt. Au moment du scandale Cambridge Analytica, à l’occasion duquel on apprenait qu’une entreprise britannique avait recueilli de nombreuses données personnelles par l’intermédiaire d’un quiz Facebook, potentiellement utilisées pour des campagnes de publicités ciblées en faveur de Donald Trump, Brian Acton avait posté un message qui avait été abondamment relayé et commenté : « Il est temps. #supprimefacebook ».
It is time. #deletefacebook
— brianacton (@Brian Acton)
Le même homme avait pourtant, en 2014, accepté de vendre</a> sa messagerie WhatsApp à Facebook pour la somme record de 19 milliards de dollars. « Une offre qu’on ne pouvait pas refuser », dit-il à Forbes, en expliquant pourquoi lui et l’autre créateur de Whatsapp, Jan Koum, avaient alors dit oui.
WhatsApp est devenu depuis l’un des fleurons de Facebook. La messagerie instantanée est utilisée par au moins 1,5 milliard de personnes dans le monde. Contrairement à d’autres applications rachetées par l’entreprise, comme Instagram, WhatsApp est restée relativement similaire dans sa forme et ses usages, permettant essentiellement des conversations individuelles ou de groupes, au contenu intégralement protégé par un chiffrement de bout à bout.
Seuls des « statuts » ont fait leur apparition, comparable aux « stories » d’Instagram, et qui seraient utilisés par environ 450 millions de personnes. Facebook a également annoncé la création d’un programme « WhatsApp Business », destiné à pourvoir</a> les entreprises de solutions pour contacter</a> des clients à travers WhatsApp.
« J’ai vendu la vie privée de mes utilisateurs »
Dans son interview à Forbes, Brian Acton dit regretter</a> la tournure de ces derniers développements. « Je suis un vendu. J’en suis conscient. (…) J’ai vendu la vie privée de mes utilisateurs [à une entreprise] qui veut en faire</a> un plus gros business. J’ai fait un choix et un compromis. Et je vis avec ça tous les jours. » Une vie toutefois confortable, puisque M. Acton a tout de même empoché, selon Forbes, la bagatelle de 1 milliard de dollars grâce à Facebook. De l’argent qu’il a investi depuis dans plusieurs fondations, dont la fondation Signal, du nom d’une autre application de messagerie protectrice de la vie privée, plébiscitée par le lanceur d’alerte Edward Snowden.
L’énervement de Brian Acton contre Facebook, exprimé au moment de l’affaire Cambridge Analytica, tire ses racines de la manière dont la collaboration entre WhatsApp et Facebook a eu lieu après le rachat. Il estime, dans son interview, que Facebook « n’est pas un “bad guy” », seulement un ensemble « de personnes très performantes pour faire du business (…) Ils utilisent pour ça des techniques, des principes, une éthique et une ligne de conduite avec lesquelles je ne suis pas totalement d’accord. »
Au cœur des contentieux : la question de la rentabilité de WhatsApp et la possibilité pour Facebook d’utiliser l’application comme une nouvelle plate-forme de publicités ciblées, alors que la collecte des données personnelles des utilisateurs est limitée par le chiffrement des messages échangés. Une protection essentielle pour la confidentialité des échanges, les messages écrits et reçus ne pouvant être</a> lus et analysés par un œil – ou un logiciel – extérieur, ni même par WhatsApp (contrairement à une messagerie comme Gmail, qui a, pendant un temps, scanné les e-mails des utilisateurs à des fins publicitaires).
Un chiffrement que Facebook n’entend pas remettre</a> en cause, assurant à Forbes que « les messages Whatsapp resteront chiffrés de bout en bout ». Mais Brian Acton évoque, de son côté, plusieurs épisodes où les équipes de Facebook ont tenté de construire</a> des solutions pour gagner</a> de l’argent à partir</a> de WhatsApp malgré les conversations chiffrées — ayant parfois conduit à remettre en cause le chiffrement. C’est une des raisons pour lesquelles la publicité ciblée devrait faire son apparition dans les « statuts » WhatsApp en 2019, qui ne sont pas des conversations chiffrées. « Ils voulaient et avaient besoin de construire des projections de revenus pour continuer</a> à donner</a> à Wall Street des bons chiffres de croissance », détaille Brian Acton.
Le cofondateur de WhatsApp dit pour sa part avoir</a> proposé d’autres solutions pour gagner de l’argent, selon lui davantage protectrices de la vie privée. Par exemple : faire payer aux utilisateurs de WhatsApp quelques centimes pour continuer à écrire</a>, à partir d’un certain nombre de messages envoyés. Ce à quoi Sheryl Sandberg, la no 2 de Facebook, lui aurait répondu : « Ce ne sera pas suffisant. »
« Colère »
Dans une réponse apportée à cette interview, David Marcus, un homme-clé de Facebook qui a dirigé pendant plusieurs années le développement de la messagerie Messenger, trouve cette présentation des faits injustes. Il estime que Brian Acton a délibérément « retardé » la mise en application d’idées pour gagner de l’argent à partir des conversations WhatsApp, mais sans s’être suffisamment battu pour proposer</a> d’autres solutions afin de faire de WhatsApp un « business », qui faisait pourtant partie des objectifs initiaux de Facebook.
Brian Acton révèle également que, conformément aux conditions qu’il avait obtenu lors du rachat par Facebook, en 2014, il a largement combattu le principe de « mélange des données » entre les applications Facebook et WhatsApp. Ce que Facebook a fait malgré tout, avec une mise à jour des conditions d’utilisation ouvrant la voie au fait de relier</a> les numéros de comptes de WhatsApp à ceux des profils Facebook.
Forbes explique que ce système permet à Facebook de mieux cibler</a> ses publicités en fonction de la fréquence des échanges réalisés entre des utilisateurs de WhatsApp. Un changement de cap par rapport aux conditions du rachat annoncées en 2014, pour lequel la commission antitrust de l’Union européenne a puni Facebook d’une amende de 122 millions de dollars, en mai 2017. Et qui a suscité la « colère » de Brian Acton, selon lui.
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