ESPACE - Très loin de la Terre, au centre de la galaxie, se cache un monstre. 15 millions de kilomètres de diamètre, si imposant qu'il attire à lui et dévore tout ce qui se trouve aux alentours, des nuages de gaz aux étoiles. Son nom: Sagittarius A* (Sgr A*). Les chercheurs pensent que c'est un trou noir supermassif, 4 millions de fois plus massif que le Soleil.
C'est près de cet endroit étrange et inhospitalier que des chercheurs français, allemands et portugais tentent depuis des années de vérifier si Einstein ne s'était pas trompé. Comment? En analysant en détail le comportement d'une étoile, appelée S2, qui tourne à une vitesse folle autour de Sgr A*. Afin de détecter un "rougissement".
Leurs résultats, publiés ce jeudi 26 juillet dans la revue Astronomy & Astrophysics, montrent que la théorie de la relativité générale imaginée par le physicien allemand un siècle plus tôt est toujours valide. "Je suis impressionné par cette théorie, qui a germé dans le cerveau d'un homme et fonctionne encore 100 ans après", affirme au HuffPost Guy Perrin, chercheur à l'Observatoire de Paris et co-responsable de Gravity, l'un des instruments qui a permis de réaliser ces mesures.
En plus de valider Einstein, ces travaux sont la preuve de l'avènement d'instruments permettant l'observation la plus nette jamais réalisée d'un objet si proche d'un trou noir supermassif. Des outils qui pourraient nous permettre de résoudre l'étrange "paradoxe de la jeunesse" du centre de notre galaxie et d'en savoir plus sur Sagittarius A*, pour lequel nous avons peu de certitudes.
Balle de tennis sur la Lune
Observer en détail l'étoile S2, la plus proche du trou noir connue, n'est pas simple. Tout cela se passe à 26.000 années-lumière de la Terre. Et là, les chercheurs devaient percevoir une faible variation de vitesse. Pas simple.
C'est le Très grand télescope (VLT), de l'Observatoire européen austral (ESO) qui a été utilisé. Mais les 4 grands télescopes n'étaient pas suffisant. Il a fallu "tricher", en quelque sorte: combiner ces différentes lentilles en une géante, "virtuelle". C'est là dessus que les équipes allemandes, portugaises et françaises ont travaillé.
Le résultat s'appelle "Gravity", un outil (interféromètre) qui "combine les quatre télescopes de 8 mètres en un géant de 130 mètres", explique Guy Perrin. Avec lui, les chercheurs peuvent analyser en détail le mouvement de S2 autour du trou noir.
La précision obtenue permet de suivre le mouvement d'une balle de tennis... sur la Lune. "Dans l'infrarouge, c'est le télescope le plus précis", affirme Guy Perrin. Grâce à Gravity, les auteurs ont pu suivre le mouvement de S2, qui orbite autour de Sagittarius A* en 16 ans. Mais à une vitesse phénoménale.
Quand la vitesse voit rouge
S2 va à quelque 8000 km/s. C'est 2,7% de la vitesse de la lumière. Il faut bien comprendre que c'est gigantesque. "Dans le système solaire, la vitesse classique se compte en dizaines de kilomètres par secondes. Il faut qu'une fusée atteigne 11 km/s pour s'échapper de la Terre", schématise Guy Perrin.
8000 km/s, c'est une vitesse "relativiste". Cela veut dire que l'objet va tellement vite que les effets de la théorie de la relativité générale imaginée par Albert Einstein commencent à être visibles.
Pour faire (très) simple, disons que l'idée d'Einstein change radicalement la façon dont il faut concevoir l'espace et le temps. Plutôt que deux éléments séparés, ceux-ci sont liés dans le continuum espace-temps. L'univers est donc composé non pas de 3, mais 4 dimensions.
Du coup, le vide n'est pas inerte, il est mouvant et influencé par toute la matière de l'univers. Plus un objet est gros, plus il va déformer l'espace-temps, via sa gravitation. C'est un peu comme si vous posez une bille dans de la gelée. Et plus la vitesse d'un objet est importante, plus cette déformation sera visible.
Cette théorie à de très nombreuses implications. Celle qui a été mesurée par le VLT, c'est ce que l'on appelle le "rougissement gravitationnel" de S2. Cela ne veut pas vraiment dire que l'étoile observée est devenue rouge. Quoi que, cela dépend de ce que l'on regarde.
Encore une fois, pour faire (très) simple, lorsqu'on observe un astre, l'onde lumineuse qui nous provient peut être "découpée", décomposée en raies de couleurs, du violet au rouge. Cela s'appelle la spectrométrie.
Or, on sait depuis des années que si un objet s'approche de nous, les raies bleues sont plus présentes. A l'inverse, s'il s'éloigne, ce sont les rouges qui sont plus présentes. "C'est grâce à ce genre de mesures qu'Edwin Hubble a pu mesurer l'expansion de l'univers et mettre en évidence le Big Bang", rappelle Guy Perrin. En fait, c'est comme l'effet Doppler, qui fait qu'une voiture fera un son plus aigu quand elle se rapproche de vous et plus grave quand elle s'éloigne.
Temps au ralenti, façon Interstellar
Le rapport avec S2? Et bien justement, les chercheurs, en plus de scruter l'étoile avec Gravity, ont analysé sa vitesse via spectrométrie, en analysant les fameuses raies de couleur. Résultat: quand S2 passe au plus près du trou noir, elle "rougit".
En fait, la vitesse de l'étoile change de 200 km/s en passant près de Sgr A*. C'est grâce notamment aux mesures de Gravity que l'on a pu s'assurer que ce changement de vitesse était bien dû à la théorie de la relativité.
Mais alors que se passe-t-il quand l'étoile passe près du trou noir? Et bien justement, ce "rougissement gravitationnel", totalement prédit par la théorie de la relativité générale d'Einstein.
Mais encore? Cela devient un peu compliqué, mais disons que le temps ralentit à cause de l'incroyable gravité exercée par le trou noir sur S2. Un peu comme dans le film "Interstellar", quand le héros se rend compte que des années se sont écoulées sur la Terre alors que seuls quelques jours ont passé pour lui.
Résoudre le "paradoxe de la jeunesse"
Ce rougissement a déjà été démontré ailleurs, par exemple en analysant le changement de vitesse de deux étoiles tournant l'une autour de l'autre. Mais jamais autour d'un objet aussi compact, massif et anormal qu'un trou noir et de manière aussi claire. "Ici, la preuve est bien plus formelle que par le passé, même s'il y a une marge d'erreur de 10% sur notre résultat", précise Guy Perrin.
Dans les années à venir, les membres du projet vont continuer à observer S2 pour affiner leur calcul. Surtout, ils vont également essayer de déceler d'autres objets plus proches du trou noir et de son horizon, la frontière de l'objet en quelque sorte.
Plus on s'en rapprochera plus, plus on pourra cerner Sagittarius A*, et surtout s'assurer qu'il s'agit bien d'un trou noir supermassif. Le VLT n'est pas le seul télescope à tenter cela. Depuis 2017, un gigantesque interféromètre, EHT, qui regroupe des télescopes présents sur toute la planète, tente d'observer "l'ombre" du trou noir.
Celui-ci dispose d'une résolution plus importante que ce que permet Gravity et n'observe pas la même chose. Si l'expérience réussit, on pourrait vraiment "voir" l'ombre de Sagittarius A*, alors que Gravity détecte surtout des mouvements. "Eux cherchent les gaz autour, nous les étoiles", précise Guy Perrin.
En dehors de cette saine compétition à la recherche du trou noir, Gravity pourrait aussi permettre de résoudre le "paradoxe de la jeunesse". Les étoiles comme S2, celles qui sont les plus proches de Sagittarius A*, sont en réalité très jeunes. Celles qui sont plus loin, au contraire, sont plus vieilles.
Et c'est paradoxal. "Le trou noir existait déjà quand elles sont nées, alors comment est-ce possible que du gaz ait pu ne pas être attiré par sa gravité et ait pu s'effondrer pour créer une étoile?", s'interroge Guy Perrin. C'est un des mystères qu'espère résoudre Gravity en trouvant d'autres étoiles autour Sagitarrius A*, de l'objet le plus étrange de notre galaxie.
À voir également sur Le HuffPost:
https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/26/on-a-prouve-queinstein-avait-raison-meme-dans-les-conditions-les-plus-extremes-de-la-galaxie_a_23489911/Lire aussi :
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