Elles sont très rondes, pas bien discrètes, colorées selon vos envies et intègrent deux caméras bien en évidence : les lunettes de soleil «Spectacles» de Snapchat sont sorties mardi 24 avril dans le commerce, sur Internet. Un pari audacieux tant le marché des binocles connectées n’a pas encore trouvé son public.

Le principe ? Si, d’aventure, vous achetez vos bésicles estampillées Snapchat, vous les recevrez dans un étui qui fait aussi office de station de rechargement. Enfilez-les comme n’importe quelle paire, connectez-les avec votre compte Snapchat, et ici se dévoilera l’usage de l’appareil : pouvoir prendre des photos et des vidéos à hauteur des yeux, sans avoir à sortir un smartphone, en tout cas dans un premier temps. Une pression longue pour une photo, et une pression courte pour les vidéos, dont la durée rejoint les standards du site : entre dix et trente secondes. Tout ce que vous aurez capturé se retrouvera dans la fonction «Memories» mais libre à vous de garder ces fichiers pour le réseau social de votre choix. Sur Snapchat, elles seront rondes, mais bien carrées si vous faites l’effort de les exporter.

La promesse ? Des vidéos «immersives», à la première personne. Les lunettes sont waterproof, à vous les joies du plongeon connecté et de belles images de plage. Bon, il faudra garder les yeux ouverts pour filmer et bien les visser sur ses oreilles. Un objet destiné à l’usage personnel et au divertissement — Snapchat mise régulièrement sur la réalité augmentée, l’entreprise vient d’annoncer la mise en place de divers «mini-jeux» qui demandent tous de grimacer devant votre écran. Bref : amusement et partage avant tout.

Les Spectacles sont un gadget amusant, mais un gadget néanmoins, proposé entre 150 et 175 euros. Chaque globe-trotter ou gros consommateur d’images et de réseaux sociaux peut y trouver son compte. Pour Snapchat, c’est moins sûr. Le passif des lunettes connectées est maudit dans le monde de la high-tech, et le dernier exemple en date… est les Spectacles de Snapchat. Les lorgnons qui viennent de sortir sont en fait la deuxième version du même produit : en 2016, l’entreprise lance son premier modèle (et son look un peu plus «jouet»), le produit ultime d’une marque qui a toujours fait de l’image son ADN. Seules 220 000 paires se sont vendues, et l’entreprise s’est retrouvée avec une montagne d’invendus sur les bras et un déficit de 40 millions de dollars l’année suivante (33 millions d’euros).

Les Spectacles 2 sont donc la version améliorée d’un produit moribond. Au moins, elles sont intuitives et simples d’utilisation. Mais il y a toujours eu un petit quelque chose de kamikaze quand il s’agit de sortir un gadget qui se porte sur le nez. Google l’a appris à ses dépens avec les Google Glass qui, sorties en 2013, sont retirées du marché sous le feu des critiques un peu moins de deux ans plus tard. Trop chères (1 500 dollars !), une batterie faiblarde, et finalement, pour quels usages ? La promesse d’insérer de la réalité augmentée au quotidien n’a pas trouvé d’application concrète, sinon de provoquer curiosité et, très ponctuellement, l’agressivité du quidam n’appréciant pas d’être potentiellement filmé au quotidien. Mi-2012, un utilisateur de lunettes connectées de son cru (donc à la caméra nettement plus visible que celles de Google ou Snapchat) a été au centre d’un esclandre au McDonald’s des Champs- Elysées. Les Google Glass ne sont désormais plus proposées qu’à destination des professionnels à dose confidentielle, et refont parfois surface dans des domaines aux antipodes du divertissement, dont la médecine. Au moins, on y évite le risque numéro un du porteur des Spectacles : se lasser quelques heures après l’achat.

Benjamin Benoit