C'est le réseau social le plus téléchargé actuellement aux États-Unis, selon AppAnnie. Lancée en juillet 2015, l'application Vero - "vérité" en latin - est brutalement sortie de l'ombre ces derniers jours, propulsée par l'arrivée de quelques influenceurs Instagram sur la plateforme. Son principe est plutôt basique : partager des photos, des vidéos, des musiques ou des livres. Mais là où Vero se distingue de ses adversaires que sont Facebook, Instagram, Twitter ou encore Pinterest, c'est surtout dans son modèle économique. Ici, pas de publicités ni de collecte massive de données, mais à long terme, un abonnement annuel payant. Une recette que d'autres ont déjà voulu expérimenter, avant de s'y casser les dents. Alors, cette tentative est-elle enfin la bonne ?
Comment l'application fonctionne-t-elle ?
En 2015, le site américain spécialisé dans les nouvelles technologies, TechCrunch, écrivait : "Les créateurs de Vero parient qu’il y a encore une place pour un nouveau type de réseau social - un qui accorderait plus d’attention aux nuances des vraies relations humaines (par opposition aux relations virtuelles, ndlr)". Au moment de poster un contenu – qu'il s'agisse de photos, de liens, d'endroits que l'on a fréquentés ou d'œuvres que l'on a appréciées -, l'utilisateur peut ainsi choisir en un seul clic ses paramètres de confidentialité. La publication peut être restreinte à ses "amis proches", ses "amis", ses "connaissances" ou au contraire être visible par l'ensemble de ses "abonnés". À l'inverse de Facebook, aucun algorithme ne vient ici perturber l'ordre ou la façon dont l'utilisateur voit apparaître ces contenus. Même chose pour les publicités, proscrites du fil d'actualité.
Ayman Hariri, fils de l'ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, assassiné en 2005, voulait en effet offrir une alternative plus sélective et naturelle aux réseaux sociaux existants. Créée en juillet 2015, l'application, uniquement disponible sur smartphone, emprunte toutefois les codes de ses illustres aînés : commentaires, "likes", hashtags… Bref, rien de très original en somme en termes d'utilisation. Mais après plus de deux ans passés dans l'ombre, le réseau social a littéralement vu sa popularité exploser ces derniers jours. Selon Google Trends, Vero a connu une croissance de recherches Google de quelque 300% en février 2018.
Pourquoi un engouement si soudain ?
Les aficionados de Twitter et Instagram s'en sont peut-être rendu compte. Depuis plusieurs jours, quelques membres proéminents de ces réseaux sociaux annoncent leur inscription sur Vero, à grands coups de messages incitatifs. Le premier d'entre eux a sans doute été Zack Snyder. Le réalisateur de Justice League, Watchmen : Les Gardiens et 300, pour ne citer qu'eux, avait attiré l'attention sur l'application dès septembre dernier, en réalisant un film sur son iPhone pour l'entreprise de son ami Ayman Hariri. Depuis, d'autres ont suivi, à l'image du chanteur canadien Christian Collins. Fort de ses 3,6 millions de followers sur Instagram (2,2 millions sur Youtube et 1,7 million sur Twitter), le jeune homme de 21 ans a déjà prévu de diffuser son prochain titre en exclusivité sur Vero.
— Chris†ian (@WeeklyChris) 28 septembre 2017
Cette large campagne menée auprès des influenceurs s'est accompagnée d'une autre stratégie marketing, appelée FOMO (Fear of Missing Out), autrement dit la peur de rater une bonne affaire. Car le site a récemment promis que le premier million d'utilisateurs disposerait à vie d'un accès gratuit à Vero. Résultat : ses serveurs ont rapidement été saturés. C'était encore le cas lundi, alors que le problème semblait résolu le lendemain. À long terme, les utilisateurs devront cependant payer un abonnement annuel pour s'inscrire. Son montant est pour l'heure encore inconnu. Selon la chaîne américaine CNBC, il pourrait s'élever "au prix de quelques cafés". C'est donc en étant financé par ses utilisateurs que le réseau social entend prospérer.
"L'évidence, c'est qu'on va plutôt être orienté sur un contenu qualitatif", analyse Romain Rissoan, consultant en transformation digitale, auprès d'Europe1.fr. "Sur Facebook, il y a une impression de très grande mixité sociale. On n'arrive pas à tenir un débat qui a du sens. En quelque sorte, trop de démocratie tue la démocratie. Conséquence : les gens ne se sentent plus à leur place nulle part. Ils ont besoin de se retrouver entre gens 'sérieux'", continue le spécialiste des réseaux sociaux, qui a lui-même désinstallé Facebook de son téléphone il y a un mois.
"Or, l'abonnement payant est une barrière à l'entrée énorme. Même un euro suffit pour écarter ceux qui n'ont pas vocation à diffuser du contenu intéressant". Et Romain Rissoan de prendre l'exemple de Tinder et Meetic, deux applications de rencontres pour célibataires, qui n'attirent pourtant pas la même population, et n'agrègent pas les mêmes motivations. "Sur Meetic, les gens payent. Ils ne sont pas là pour perdre du temps mais pour être efficaces dans leur recherche de conjoint", explique l'expert. Selon lui, le timing est en tout cas le bon pour Vero.
Le modèle peut-il tenir ?
Publicités dans son fil d'actualité, collecte massive de données, algorithmes en pagaille… Facebook est confronté à des critiques de plus en plus nombreuses de la part de ses utilisateurs. C'est précisément dans cette brèche qu'entend s'engouffrer Vero. "Il y a un phénomène de lassitude envers Facebook", confirme Romain Rissoan. "Pour moi, c'est le bon moment. Mais le challenge est colossal", note-t-il.
D'abord parce qu'un réseau social a besoin de beaucoup d'utilisateurs pour être intéressant. Et ce dès le début ou presque. L'équation semble donc quasiment impossible à résoudre, face aux mastodontes que sont Instagram - 800 millions d'utilisateurs mensuels actifs - et Facebook - plus de 2 milliards d'utilisateurs par mois. "Il est possible que ce buzz leur fasse plus de mal que de bien. Car des opportunistes curieux vont s'inscrire sur Vero, mais vont en repartir très vite car il n'y aura pas grand monde, ce qui va véhiculer une notion d'échec pour la marque. C'est un peu comme le bitcoin : lorsqu'on en entendait pas parler, cela marchait très bien et depuis, son cours a largement chuté", observe encore le consultant en transformation digitale.
La partie serait donc perdue d'avance pour quiconque souhaiterait attirer le grand public. "Jusqu'à présent, seuls les réseaux sociaux verticaux ont su se maintenir, c'est-à-dire ceux qui s'adressent à une population bien particulière : réseaux de voisinage, spécialisés dans la musique ou dédiés aux passionnés de chevaux, etc. Les autres réseaux sociaux généralistes, eux, ont disparu aussi vite qu'ils sont apparus", rappelle Romain Rissoan. Le site Ello, présenté comme un "anti-Facebook" sans publicité, n'a par exemple connu qu'un bref succès, tout comme l'application de messagerie Peach, qui ambitionnait pourtant de concurrencer WhatsApp et Facebook Messenger.
La soudaine popularité de Vero rappelle aussi et surtout celle de Mastodon, créé en 2016 et propulsé sur le devant de la scène en avril 2017. Ce réseau social décentralisé, sur lequel il est possible de publier des messages appelés "pouets", n'a finalement pas pu surfer sur sa croissance et depuis, la hype est largement retombée. Mais près d'un an après, une communauté, bien plus forte, s'y est construite. Un tel dessein pourrait suffire à Vero pour assurer, à terme, sa rentabilité.
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